Les écoles de Jette, entre élitisme et « ghettoïsation »

Symbole de cette séparation entre les communautés en Belgique: les écoles. Certains ont des idées pour casser cette machine à reproduire les classes sociales.

La séparation entre les communautés commence dès l’école. On n’en compte pas moins de 27 sur le territoire de Jette, dont la moitié néerlandophones (même si les classes sont plus petites). La reproduction sociale et culturelle marche à plein régime. La famille Vrancken – parents, fils et belle-fille – peut en témoigner, elle qui baigne dans l’enseignement. Claire (60 ans) est professeure de religion, son mari vient d’être pensionné et envisage de donner bénévolement des cours de français. Leur fils, Mathieu (34 ans), qui habite à deux maisons de la leur, a aussi enseigné et opère aujourd’hui dans le soutien scolaire. Sa jeune épouse attend leur premier enfant pour le printemps 2018. La future maman se confie: « A Jette, on vit en ville sans en avoir l’impression. Il fait bon vivre, je retrouve cette ambiance ‘village’ que j’ai connue là où j’ai grandie, à Mazy, près de Jambloux », apprécie Emily (30 ans), qui officie dans les ressources humaines. Mais l’expérience de sa belle-mère dans certaines écoles de la commune l’inquiète. « Je vais un jour devoir inscrire ma fille à l’école. Je suis pour la mixité, mais la vraie mixité. Je ne tiens pas à ce que ma petite tête blonde soit littéralement l’une des seules têtes blondes de sa classe ».

Dans l’école où elle donne cours de religion, Claire Vrancken estime que cohabitent une soixantaine de nationalités, dont une majorité d’enfants musulmans. « Mais je ne me sens pas ‘envahie’. On vit bien ensemble. La commune donne des cours d’alphabétisation, on distribue des livrets d’intégration dans toutes les langues (moldave, arabe…), je trouve ça accueillant », explique l’enseignante. « C’est vrai que l’on entend parfois des choses effrayantes que les enfants rapportent de la maison. Heureusement qu’il y a mes collègues profs de religion musulmane pour recadrer tout cela. Je regrette d’ailleurs que l’on ait réduit d’une heure hebdomadaire ce cours. Ce qu’il aurait fallu, c’est ajouter des ateliers entre les classes de différentes confessions ».

Le cloisonnement entre les classes sociales et culturelles est une réalité à Jette. Les familles plus favorisées accourent pour inscrire leur enfant dans les écoles huppées; Aurore, Sacré-Cœur, Saint-Pierre… Saint-Pierre est le plus grand collège diocésain de Bruxelles et du Brabant-Wallon. « Mon collège est le plus sollicité par les parents en 1ère secondaire sur l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles (500 élèves en liste d’attente en 1ère) et je suis persuadé que le côté rassurant, sécurisant de la commune joue un rôle dans le choix des parents », détaille son directeur, Thierry Vanderijst.

Tous s’accordent à dire qu’un énième décret inscription ne changerait rien à l’affaire. « Il faut plus d’éducateurs, d’assistants pédagogiques, d’assistants sociaux dans chaque école, car les enfants sont souvent très perturbés par ce qu’il se passe à la maison », propose Mathieu Vrancken. « Il faudrait aussi moins d’enfants par classes et un meilleur salaire pour les profs, histoire d’attirer d’autres profils, peut-être des personnes naturellement plus ambitieuses ».

« J’ai fréquenté le Sacré-Cœur de Jette », raconte Audric, le jeune Jettois croisé à « L’Excelsior ». « On commence l’année à dix ou onze classes, on la termine à trois. On sélectionne à mort… » « Il y a un fossé culturel qui se creuse. Les politiques ont laissé les immigrants de première génération de ghettoïser », regrette son ami Nikita. « Je pense qu’il faut casser les murs, physiquement. Créer un mouvement géographique. Le sport peut aider pour mixer les populations. Et puis, il faudrait un mouvement de jeunesse, comme les scouts, mais qui n’exclurait personne. Parce qu’on ne va pas se mentir, même aux scouts on est entre blonds aux yeux bleus ».

Pour casser des murs ou bâtir des ponts, on trouvera quelques bonnes volontés à Jette. Sans angélisme, mais sans pessimisme.

LA DECOUVERTE: LA LIBRAIRIE MOT PASSANT, « UNE BONNE TENTATION »

La librairie « Mot Passant », située à quelques encablures de la place du Miroir, étonne par le foisonnement de beaux livres, de romans pour adultes et pour enfants dont elle regorge.

Kelly, employée de 30 ans de « Mot Passant », nous fait la visite: « Nous organisons des soirées jeux de société, de dédicaces avec des auteurs, de conférences. Nous disposons aussi d’une cafétéria indépendante. En juillet-août nous avons de nombreux étudiants qui apprécient d’avoir un lieu chaleureux pour bosser leurs cours ». Comme tous les commerces du coin, « Mot Passant » souffre à cause des travaux. La ligne du tram 9 passera dans quelques mois devant leur porte. « Après deux ans d’existence, il y a encore des gens qui nous découvrent. Ils disent: ‘tiens, vous êtes nouveaux ici' », s’amuse Kelly, responsable de l’imposant secteur jeunesse. « Notre grande fierté c’est que nous avons des clients réguliers qui nous disent que l’ouverture de la librairie leur a redonné le goût de lire, de découvrir de nouvelles littératures », conclut la jeune femme.

Suzanne Cornille, retraitée du secteur de la papeterie, est une férue de livres. De culture en général. Elle adore l’endroit: « C’est un beau lieu. Il y a régulièrement des auteurs qui viennent dédicacer leurs ouvrages. On peut prendre une boisson. C’est un lieu assez exceptionnel. Et une bonne tentation! »

*Librairie Mot Passant. Avenue de Jette, 300. www.motpassant.be. Ouverte 7 jours/7.


sourcehttp://plus.lesoir.be